Un air de James Bond dans les forêts fribourgeoises
Depuis le 1er février, les chasseurs peuvent utiliser un silencieux. Pro Natura alerte sur cette pratique. Reportage.
Un vent de septembre fait frémir les feuilles des arbres, les champs s’étendent à perte de vue et l’odeur des épicéas flotte dans l’air. Michaël Rey, président de la Fédération des sociétés de chasse fribourgeoises, se tient aux abords d’une forêt, près de Grolley. Accompagné de son setter anglais — son fidèle compagnon à quatre pattes — ce quadragénaire s’apprête à entamer sa partie de chasse.
Il dézippe la housse de son fusil à canon rayé. Dans une autre poche, il récupère un tube métallique noir, d’environ 30 centimètres: un silencieux. Lui préfère parler de "réducteur de son".
Des changements récents
Depuis le 1er septembre 2025, les chasseurs sont autorisés à utiliser cet accessoire sur le terrain pour tirer le gibier. Avant cette année, son usage était interdit en Suisse, conformément à l'Ordonnance fédérale sur la chasse et la protection des mammifères et des oiseaux sauvages, qui a aujourd'hui été modifiée. La nouvelle version est entrée en vigueur le 1er février dernier.

Son chien trépigne d’impatience, prêt à pister renards et sangliers. Michaël se lance alors dans une chasse d’approche. Il visse son modérateur de son, prend sa munition, ses jumelles, et enfonce ses protections auditives dans ses oreilles. Le silencieux ne devait-il pourtant pas supprimer le bruit? Le président de la fédération de chasse sourit: "Le son de la balle n’est pas totalement étouffé au moment du tir. Le silencieux est un tube avec des chicanes sur les côtés. L’expansion des gaz et le claquement de la balle font énormément de bruit. Ce que fait le silencieux, c’est qu’il ne laisse pas les gaz s’échapper directement derrière la balle à la sortie du canon, mais les redirige sur les côtés."
Un silence qui fait peur
L’usage du silencieux inquiète certaines organisations de défense des animaux, comme Pro Natura Fribourg. Son président, Marc Vonlanthen, redoute un déséquilibre accru entre chasseur et gibier: "Comme le tir est moins audible, le chasseur a plus de chances d’abattre plusieurs animaux avant qu’ils ne prennent la fuite. Le bruit d’un tir classique rétablit en quelque sorte le rapport de force." Il évoque aussi un risque potentiel pour les randonneurs.
Elias Pesenti, inspecteur de la chasse du canton, répond à ces préoccupations. Pour lui, il est faux de croire que la sécurité dépend du seul usage du silencieux: "Le maniement des armes fait l’objet d’une formation stricte, avec des exercices de tir obligatoires chaque année. Le silencieux n’a pas d’impact réel sur la sécurité. Même avec un modérateur de son, les munitions supersoniques restent audibles. Les randonneurs n’ont donc pas à changer leur comportement."
Le réducteur de son offre aussi des avantages aux chasseurs: il protège l’ouïe, aussi bien des humains que des chiens de chasse, réduit le recul de l’arme et améliore ainsi la précision. Enfin, un tir moins bruyant perturbe moins la faune environnante non visée.
Autorisé à la chasse, mais interdit en Suisse
Bien que la nouvelle ordonnance autorise l’usage du silencieux à la chasse, cet accessoire reste considéré comme interdit en Suisse, selon la loi fédérale sur les armes. Son acquisition, sa possession ou sa fabrication nécessite une autorisation spécifique délivrée par la section Armes, pyrotechnie et explosifs (APEx) de la Police cantonale.
Dans le cadre de cette procédure, le permis de chasse peut servir de justification du besoin. Une fois l’autorisation accordée — et uniquement à ce moment-là — le chasseur peut commander un silencieux auprès d’un armurier. L’autorisation est personnelle et liée à un dispositif précis, identifié par un numéro de série.
Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle ordonnance, environ 150 demandes ont été déposées pour l’acquisition d’un silencieux, selon les autorités fribourgeoises. Auparavant, les statistiques ne distinguaient pas les chasseurs des tireurs sportifs ou des collectionneurs. Mais la Police cantonale confirme une nette augmentation du nombre de requêtes.
À ce jour, 674 chasseurs ont demandé un permis avec arme dans le canton de Fribourg pour l’année en cours.