Les festivals de cinéma sous tension financière

Entre inflation, désengagement public et concurrence accrue pour bénéficier des fonds privés, les festivals de cinéma suisses doivent redoubler d'efforts pour assurer leur survie.

"Nous sommes sereins sur nos finances, tout en sachant qu'elles sont précaires", confirme Philippe Clivaz, directeur opérationnel du Festival international du film de Fribourg (FIFF). © KEYSTONE

Tandis que le Festival du film de Locarno bat son plein, les organisateurs de plusieurs grands festivals suisses témoignent d’un même constat: boucler un budget est devenu un exercice périlleux.

L’animation, le documentaire ou le cinéma d’auteur n’échappent pas à la logique de raréfaction des ressources. "Nous sommes sereins sur nos finances, tout en sachant qu'elles sont précaires", confirme Philippe Clivaz, directeur opérationnel du Festival international du film de Fribourg (FIFF).

Un financement de plus en plus complexe

Malgré cette embellie ponctuelle, le tableau d’ensemble reste préoccupant. "Le financement devient plus exigeant, plus énergivore", observe Mischa Haberthür, directeur adjoint du festival d'animation Fantoche à Baden (AG). Le nombre de demandes de financement explose, tandis que les fonds disponibles n’augmentent pas.

Certaines fondations ne peuvent désormais répondre qu’à une fraction des sollicitations reçues. "L’une d’elles nous a confié que seuls 7% des dossiers étaient retenus", précise-t-il. Une aide auparavant annuelle peut par exemple se transformer en soutien tous les deux ou trois ans, forçant les festivals à multiplier les démarches.

En tant que président de la Conférence des Festivals, la faitière des festivals de films de Suisse, cette fois-ci, Philippe Clivaz a étudié la répartition des recettes de huit des neuf manifestations soutenues par l'Office fédéral de la culture en 2023. "Entre Baden, Fribourg, Genève, Neuchâtel ou encore Nyon, on observe que près de 42% du financement vient des subventions, un peu moins de 20% des recettes propres et le reste des fondations, sponsorings ou autres", note-t-il.

Sponsors plus difficiles à convaincre

Du côté des Journées de Soleure, le festival du cinéma suisse, la directrice opérationnelle Monica Rosenberg partage les mêmes difficultés. Trouver des sponsors, et surtout les fidéliser, devient un défi. "Les entreprises serrent leurs budgets et privilégient les actions à effet immédiat", regrette-t-elle.

La culture n’est plus prioritaire face à la concurrence d’autres causes: sport, climat, éducation. Soleure en a récemment fait les frais avec le départ de Swisscom, son deuxième principal sponsor.

Depuis le début de l'année, le FIFF a engagé un responsable pour aider le festival à trouver des fonds privés. "Nous avons pris un risque financier, mais aujourd'hui trois-quatre fondations ont déjà manifesté leur intérêt pour le FIFF", se réjouit Philippe Clivaz, sans pour autant tomber dans l'euphorie.

Le soutien public sous tension

Même les subventions publiques, traditionnel pilier du financement culturel, deviennent plus incertaines. "Dans le meilleur des cas, nous parvenons à maintenir les contributions existantes, confie Raphaël Brunschwig, directeur du Festival de Locarno. Les autorités restent présentes, mais sans marge de manœuvre.

Pour Raphaël Brunschwig, il faut désormais activer d’autres leviers. La stratégie du festival mise sur des partenariats privés, plus interactifs, mais aussi plus complexes. De nouvelles perspectives internationales sont aussi explorées, avec l’ambition d’attirer davantage de fonds vers la Suisse.

Touché par les coupes budgétaires menées par la Confédération, le FIFF tente toutefois d'atteindre l'équilibre et moins dépendre des aides publiques. D'ici 2027, le festival espère augmenter son budget et ses finances, mais sait que le contexte mondial peut lui jouer des tours.

Un fragile équilibre privé-public

La plupart des festivals reposent sur un savant dosage entre fonds publics, mécénat et recettes propres. A Soleure toutefois, cet équilibre vacille. "L’inflation et la baisse du sponsoring perturbent notre modèle", déplore Monica Rosenberg. Pour elle, un soutien renforcé des pouvoirs publics est crucial pour garantir la mission culturelle du festival.

"Le contexte mondial joue aussi un rôle. Il faudra observer comment les grosses entreprises vont digérer les droits de douane américains et ce qu'elles pourront encore donner", s'inquiète Philippe Clivaz.

Locarno, de son côté, a réussi à faire évoluer sa structure financière. En dix ans, son budget a crû de cinq millions de francs. La part des fonds publics est passée de 44% à 38%, tandis que les apports privés atteignent désormais 35%.

Pour les spectateurs, un festival de cinéma est avant tout une fête. Mais en coulisses, les organisateurs luttent pour maintenir le cap. "Il ne s’agit pas seulement de survivre", martèle Raphaël Brunschwig. "Nous devons démontrer notre valeur publique avec audace et créativité."

ATS
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