"Cette opération m'a tout enlevé: ma main et ma vie"

Radia Chkarnat a perdu l'usage de sa main gauche à la suite d'une opération mal exécutée. Le procès de son chirurgien s'ouvre... sans lui.

Prise régulièrement de vertiges, Radia Chkarnat ne sort que rarement de chez elle. © RadioFr.

Son chirurgien lui avait assuré que c'était une opération "anodine". Un peu moins de huit ans après ce fatidique 14 février 2018, Radia Chkarnat se rappelle encore des mots prononcés par son médecin. Des mots qui sonnent aujourd'hui comme des coups de poignard pour la Fribourgeoise car cette opération n'a rien eu d'ordinaire pour elle.

Au contraire, elle a bouleversé la vie de Radia, a complètement transformé son quotidien, ses habitudes, même son apparence. "J'ai des douleurs, des vertiges, tout le temps. J'étais coquette et active. J'avais une passion: mon travail de cuisinière. Cette opération m'a privée de ma vie. J'ai perdu non seulement ma main, mais aussi la raison", témoigne la femme de 63 ans. 

Tout débute en novembre 2017. Radia se blesse à la main gauche, en aidant son mari, très malade, à se déplacer. Elle consulte son généraliste, qui l'oriente vers ce médecin spécialiste FMH en chirurgie orthopédique à la Clinique Moncor, à Villars-sur-Glâne. Après l'avoir examinée, il pose le diagnostic de maladie de dupuytren (ndlr: une maladie qui provoque la rétraction de la peau de la paume de la main et entraîne une flexion progressive des doigts) et recommande une intervention chirurgicale en urgence. 

Radia fait confiance et accepte. Mais très rapidement après l'opération, elle ressent des douleurs. Sa main devient toute bleue et toute gonflée. Elle n'apprendra que bien plus tard qu'un nerf a été touché. Des complications surviennent et elle finit par ne plus pouvoir bouger tout son bras gauche, des doigts à l'omoplate. 

En avril 2020, sur conseil de son avocat, la patiente porte plainte contre le chirurgien. Le procès a débuté ce mercredi au Tribunal de la Sarine. Le médecin est accusé de lésions corporelles graves par négligence.  

Fausse main

L'enquête de la police s'est avérée longue et compliquée car les notes du chirurgien sont lacunaires et présentent de nombreuses erreurs. Le docteur fait par exemple mention d'une opération à la main droite, au lieu de la main gauche... Aucun document attestant du consentement de la patiente ou des informations qu'elle aurait dû recevoir avant l'opération sur les risques encourus ne figure dans son dossier. 

Les experts mandatés dans le cadre de la procédure arrivent à la conclusion que le diagnostic posé, soit une maladie de dupuytren, est faux. Pire encore: l'opération pratiquée sur Radia n'était pas nécessaire et d'autres traitements moins invasifs auraient tout à fait pu être mis en place pour soigner sa blessure initiale.

"J'ai une longue expérience en matière d'erreurs médicales, mais c’est la première fois que je suis confronté à une liste de manquements aussi grande", confesse le procureur Philippe Barboni. 

Absence remarquée du prévenu

Pourquoi le chirurgien a-t-il précipité cette opération? Pourquoi n'a-t-il pas mieux suivi Radia à la suite de cette intervention ratée? Que s'est-il passé pour que ce spécialiste, particulièrement réputé au début de sa carrière, n'en vienne à commettre autant de dérapages?

Toutes ces questions restent sans réponse. Le chirurgien ne s'est pas présenté à l'audience. Il a fait valoir un certificat médical, qui le dispense de voyager. Il a quitté le canton depuis plusieurs années et aurait déménagé à l'étranger, peut-être en France. Il n'exercerait plus sa profession. Son avocat, Me Cédric Schneuwly, explique qu'il n'a "pas beaucoup de contact avec son client" et qu'il ignore lui-même où vit le médecin et quelle est actuellement son activité professionnelle.  

Cette absence, dont le motif est jugé "peu convaincant" par l'avocat de l'accusation, Me Daniel Känel, est une nouvelle déception pour la plaignante. "J'aurais voulu qu'il soit là et pouvoir lui dire que je ne mérite pas ce qu'il m'a fait. Je n'ai jamais reçu d'excuses de sa part. L'erreur est humaine. Mais on n'en serait pas là s'il m'avait suivie correctement après l'opération. Il m'a trahie et délaissée", regrette Radia. 

La défense demande l'acquittement. Si Me Cédric Schneuwly reconnaît la souffrance de la patiente, il l'impute au fait qu'elle n'a pas mis suffisamment de thérapies en place pour rétablir sa main et son bras. Considérant au maximum ses blessures comme des lésions corporelles simples, il lui reproche aussi d'avoir beaucoup trop tardé à porter plainte, le délai légal étant de trois mois pour cette infraction.

Déjà condamné

Le médecin risque jusqu'à trois ans de prison, mais le Ministère public a préféré demander une peine pécuniaire (180 jours-amende, soit le maximum qu'il pouvait requérir). Le procureur n'a en effet pas beaucoup d'espoir que le prévenu se présente pour aller en prison, mais il estime qu'il y a plus de chance pour qu'il paie une amende. "Ce médecin n'a pas agi de manière intentionnelle, mais il a fait preuve d’une négligence crasse dont les conséquences sont dramatiques. La sanction doit être sévère", conclut le Ministère public.

Le casier judiciaire du spécialiste n'est pas vierge. Il a fait l'objet de plusieurs condamnations, notamment pour faux dans les titres et recel. Une procédure à son encontre pour une erreur médicale similaire à celle de Radia est aussi en cours dans le canton de Vaud

Le verdict sera rendu prochainement au Tribunal de la Sarine, mais probablement pas avant la fin de l'année. 

RadioFr. - Isabelle Taylor
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