Guy Parmelin aux USA: "On ne hurlait pas contre l'autre"

Tactiques, grands patrons, Gruyère: le conseiller fédéral revient sur les négociations avec l'admnistration Trump au micro de Radio Fribourg.

Le conseiller fédéral, Guy Parmelin, s'est rendu à Fribourg ce samedi pour le Dies Academicus. Il est revenu sur les négociations avec les USA au micro de Radio Fribourg. © Keystone

RadioFr: Vous avez réussi à faire passer les droits de douane de 39% à 15%. C'est une victoire, ou c'est une défaite par rapport à ce qu'on avait au début d'année?

Je crois que c'est une amélioration par rapport à la situation qu'on vivait. Avec 39%, le Conseil fédéral a travaillé durement pour renouer les liens, trouver une solution et maintenant, nous avons une solution qui n'est pas juridiquement contraignante et sur cette base, on doit construire un accord qui lui sera juridiquement contraignant.

Pour arriver à cet accord, vous avez dû courber l'échine, comme on l'entend?

Nous avons dû faire beaucoup d'efforts pour aussi renouer les fils avec l'administration américaine. Nous avons toujours eu un contact avec le délégué au commerce, Jamieson Greer. Après il fallait attendre le bon moment, améliorer notre offre, ce que nous avons fait assez vite, mais faire en sorte que le moment soit déterminé comme étant le bon pour l'administration américaine. Et on a vu que ces derniers temps, avec de nombreux pays, l'intention du gouvernement de M. Trump était de réaliser ou de conclure un certain nombre de deals dans la perspective de stabiliser d'une manière générale la situation.

Vous avez dit non à certaines demandes de l'administration de Trump?

Nous avons négocié durement. J'ai pu lire certaines choses qui m'ont étonné moi-même. Par exemple, on n'a jamais eu un lien qui a été demandé d’avoir un automatisme en matière de sanctions, de reprendre des règles automatiquement que les États-Unis voulaient nous faire reprendre. Ça n'a pas été le cas et ça n'aurait pas pu l’être. Ça aurait été contraire à notre offre juridique.

Vous avez dit parfois non sur certains points, sur certaines demandes, ou quand on négocie avec l'administration de Donald Trump, on doit dire oui?

J'ai pour l'habitude, quand on négocie, de ne jamais faire des déclarations publiques ou d'expliquer nos tactiques de négociation. L'important, c'est le résultat parce que ça ne sert à rien non plus de dévoiler certaines choses qui pourraient être utilisées contre nous ultérieurement.

Des grands patrons ont rencontré Donald Trump. Ça a joué quel rôle et quel regard vous portez sur ça? Vous, conseiller fédéral, vous ne rentrez pas dans le bureau de Donald Trump. Des grands patrons, oui. Quelle est votre analyse?

Non, je crois qu'il faut s'adapter à la situation. Il fallait faire preuve de flexibilité. J'ai régulièrement des contacts à tous les niveaux avec les milieux économiques, que ce soient les associations ou les entreprises individuelles. Et c'est lors d'un de ces contacts qu'un des entrepreneurs m'a dit qu'il aurait éventuellement la possibilité de pouvoir avoir un contact direct avec M. Trump. Mais il a toujours été clair qu'il n'y avait pas de mandat de négociation à ce groupe. Mais nous avons naturellement tenu informé le groupe de l’état des négociations. Mais à la fin, c'est le Conseil fédéral qui décide, qui négocie et qui signe ou qui ne signe pas des accords.

On est dans le canton de Fribourg, canton agricole. On sait que dans cet accord, il y a aussi des produits agricoles américains qui pourront arriver en Suisse. Est-ce que ce n’est pas un message assez dur à entendre aujourd'hui pour les agriculteurs, pour les éleveurs suisses?

Écoutez, quand nous négocions des accords de libre-échange, il y a toujours une discussion par rapport à des concessions agricoles. Ici, dès le début, nous avons dit très clairement aux États-Unis que pour nous, l'agriculture, c'était quelque chose d'extrêmement important, de sécurité nationale, puisque nous ne produisons qu’environ 50 % de ce que nous consommons. Donc il y avait des points sur lesquels on n’entrerait pas en matière. Par contre, sur des aspects comme les fruits exotiques, les agrumes, les amandes, etc., nous étions prêts à faire des concessions. Nous avons accordé aussi des petits quotas dans certains secteurs qui étaient clés pour les Américains. En comparaison de ce que nous importons, c'est extrêmement peu.

Si vous parlez du bœuf: 500 tonnes. Actuellement, le bœuf qui est importé en Suisse doit être étiqueté s'il est produit avec des hormones ou des stimulateurs de croissance. J'avais eu un entretien à l'époque avec Proviande : depuis que ce système a été imposé — dans l’Union européenne, c'est interdit, mais chez nous c’est autorisé avec étiquette pour que le consommateur soit informé — les importations sont passées de 800 tonnes à 250 tonnes. Ça montre que le consommateur est conscient.

Concernant le poulet, puisque c'est aussi une question qui revient régulièrement, à ce stade-là, nous avons discuté des quotas, pas de ces obstacles non tarifaires au commerce. Et actuellement, le poulet dit « au chlore » est toujours interdit et reste interdit. Ça fera l'objet de discussions dans les futures négociations. Et nous verrons ce qui est possible ou non.

Encore peut-être une question sur ce partenariat. L’accord n’est pas contraignant pour le moment. Est-ce que les États-Unis restent un partenaire important pour la Suisse ou est-ce que maintenant la Suisse doit regarder ailleurs, vers d'autres partenaires? Et lesquels?

Non, ça reste un partenaire important. C'est le deuxième partenaire. Il y a d'énormes investissements déjà aux États-Unis par les entreprises, par aussi les PME. Mais nous avons trois partenaires extrêmement importants : l’Union européenne, les États-Unis et la Chine. Nous avons négocié ces dernières années et nous négocions encore actuellement avec ces trois partenaires. Et en parallèle, nous avons initié une stratégie de diversification en essayant de finaliser d'autres accords de libre-échange pour ouvrir des perspectives à nos entreprises. L’Inde: l'accord est entré en vigueur au mois d’octobre. Ça va peut-être aider, sans remplacer totalement certains marchés. Mais je pense que si on veut tirer des leçons de ce qui s'est passé, cette diversification doit plus que jamais être prise en compte par nos entreprises. Certains l'ont anticipé, nous allons continuer cette stratégie. Mais naturellement, chaque négociation nécessite des concessions. Donc ce n'est pas toujours simple de trouver le bon équilibre.

Un mot plus personnel pour terminer. On a vécu ces épisodes où vous arrivez vraiment sans rien cet été. Là, vous repartez aux États-Unis, vous arrivez avec cet accord de 15%. Quel est le bilan personnel ?  Qu'est-ce qui a marché cette fois ? Quelle a été la patte Guy Parmelin là-dedans?

Non, je crois qu'il ne faut pas se leurrer. C'est un travail d'équipe. J'ai parlé de Team Switzerland. Mais il y a toute l'administration, il y a le SECO, et toute l'administration fédérale. Nous avons été en contact avec de très nombreux départements pour voir quelle était notre marge de manœuvre éventuelle.
Avec les entreprises, c'était aussi important, puisque ces investissements qui vont se faire, dans certains cas, permettent de préserver aussi des postes de travail très importants dans notre pays. Et je crois que ce travail, c'est un travail d'équipe. Naturellement, il y a aussi l’aspect des relations personnelles. J'ai toujours eu d'excellentes relations personnelles avec M. Greer, le délégué au commerce. Contrairement à ce qu'on peut penser, ce n’étaient pas des séances de négociation où chacun hurlait contre l'autre. Ça s'est passé en très bonne entente. Mais chacun avait son mandat. Et avec des lignes claires données par les gouvernements, il a fallu trouver un chemin. Encore une fois, le bon moment pour faire remonter le dossier jusqu'au président.

Et le Gruyère, on peut espérer un retour à 10%?

Alors avec l'accord qu'on a, il va retourner à 15. Pas à 10, puisqu’on a un cap de 15. Et ce 15% est très important parce que dans le futur, s'il y a de nouvelles taxes au titre de la fameuse section 232, nous avons une garantie que nous ne dépasserons jamais 15%, y compris pour l'industrie pharmaceutique. Mais c'est dans les subtilités de cet accord. Alors oui, nous essayerons de négocier des adaptations pour baisser un peu, pas seulement pour le Gruyère, il y a aussi d'autres aspects. Mais cela fera partie des négociations à venir. Et toutes les négociations demandent des concessions. Nous verrons ce qui est supportable et acceptable. Parce qu'à la fin, le prochain accord doit être soumis au Parlement et peut-être au peuple, puisqu'il y aura un référendum. Donc, il faut garder raison.

RadioFr. - Loïc Schorderet
...